Mes réflexions autour de la visite de Fleur Pellerin à San Francisco

Elle est venue, ils sont tous là, pour le point presse ce mardi 4 juin 2013. On l’attendait depuis quelques mois, elle est enfin venue. La visite d’un Ministre en charge de l’Économie Numérique à San Francisco, c’est un peu comme un pélerinage d’un musulman à la Mecque : indispensable pour un ministère réussi. Plus que pour ses prédécesseurs, il y avait une curiosité positive à ce voyage, et en ce qui me concerne, et aux yeux de beaucoup, nous n’avons pas été déçus.

Les raisons du succès

On peut en citer plusieurs, mais la principale est liée à la personnalité du Ministre : Énarque, et donc femme de dossier, il n’en reste pas moins qu’à l’occasion dc cette rencontre avec les journalistes, bon nombre de ses remarques ont fait mouche et ont tranché avec le soporifique discours que l’on a pu entendre par le passé. « Il n’est pas question de créer une Silicon Valley à la Française. Cet écosytème a mis des années à se mettre en place, et c’est non répliquable » : tel fut le résumé de sa réponse à la question bateau des journalistes locaux présents. Les dossiers qu’elle a pu défendre à Paris (mis à part la nomination surprise de Tariq Krim pour une mission sur la cartographie des talents émergents de la filière numérique et une prise de position un peu naïve sur le dossier AppGratis face au rejet d’Apple de son application de l’AppleStore, de mon point de vue) ont montré un sans faute qu’elle a confirmé ici. Le tête à tête avec des entrepreneurs Français installés récemment à San Francisco, sans présence de média, avec notamment Carlos Diaz qui a été impliqué dans cette bruyante histoire des « pigeons », a visiblement séduit, à en croire les tweets que l’on a pu lire de certains a posteriori. Ensuite, on ne peut nier qu’une alternance politique est également une bonne chose, puisque la Ministre à eu un parcours quelque peu différent des précédents Ministres de droite, ce qui a permis de donner la parole à des personnes qui ne s’expriment pas toujours en direct aux représentants du Gouvernement. Enfin, le programme concocté par le Consul Général de France Romain Serman a été lui aussi bien complet, la Ministre n’hésitant pas à « affronter » une horde de VCs américains, ou à rencontrer la charismatique Sheryl Sandberg de Facebook. Toutefois, point de CEO de Twitter, une faute de goût  de leur part, je trouve, ou de Google, mais ça, c’était prévisible. Sinon pour être presque complet, il y eut aussi Salesforce, Airbnb, Intel, et une rencontre avec Bertand Diard, le CEO de Talend. Tout ça en 2,5 jours.

Point de Marissa Mayer…

L’affaire DailyMotion, on s’en fout

Deuxième réflexe des journalistes locaux, « Est ce que l’on vous a parlé de DailyMotion ». On a compris que vous essayez de lui faire passer un message, Messieurs les journalistes, sachez qu’elle a bien intégré ce qui se passe ici, et justement, elle est là pour évoquer le futur avec les principaux acteurs de la région, pas pour ressasser les vieilles histoires. « Ce n’est pas au Gouvernement de s’immiscer dans les affaires d’entreprises que l’État ne contrôle pas directement » (ce sont ses mots), ça a été fait par son Ministre de tutelle, ce fut une connerie (ça, ce sont les miens), c’est du passé, au suivant. Même quand Amazon est arrivé dans la conversation, on a pu entendre un autre son de cloche que celui de sa collègue Aurélie Filippetti. Un discours lucide sur le business que peut apporter le géant de Seattle en France. Un discours réaliste sur le business. Point.

Invest in French

Il est certain que contrairement aux idées reçues et notamment reportées par des journalistes parisiens, les investisseurs de la Valley adorent les projets venus d’Europe, et de France aussi bien entendu. Le « French bashing » que l’on peut nous servir en général sur les difficultés de la France pour ceci ou cela n’atteint pas les blanches colombes que sont les investisseurs de Sand Hill Road. Ce sont en général des produits ciblant de très bonne niches, développés par ce que l’on peut considérer comme la crème des développeurs (je parle des ingéneurs françcais, une des plus belle réussite de la technologie à la fançaise), et qui vont pouvoir être maximisés notamment au niveau des valorisations. Cela permettra d’assurer de belles plus-value lors des levées de fonds suivantes, sans parler des fameuses « exits » (vente de la société ou introduction en bourse). Criteo, Talend, Virtuoz pour parler des opérations les plus récentes, ont certainement représenté de très bonnes affaires ! Sans faire injure aux talents de leur fondateurs, les entrepreneurs locaux de la Valley sont certainement plus coriaces à négocier, car ils jouent à domicile et sont habitués au Monopoly de la « tech ». Sans être dans le secret des conversations qui ont eu lieu à Menlo Park, je suis certain que certains messages ont été bien reçus par la Ministre, avec des informations bien précieuses à l’avenir pour l’écosystème français.

Invest in France

Il y avait une certaine attente des réactions de la Ministre après l’épisode sur les réseaux sociaux de la communauté des startups au sujet de l’impact des nouvelles dispositions fiscales, et l’avenir dira si ses apparentes bonnes dispositions seront confirmées. Il est clair, toujours de mon point de vue, que les mesures actuelles ne vont pas assez loin pour favoriser l’investissement dans les entreprises, numériques en particulier. Loin des excès de la Silicon Valley et de sa bulle toujours présente (mais il n’y a pas de raison fondée pour imaginer que cela va s’arrêter), il est évident qu’hormis des investissements de business angels ici et là et hormis le travail fait par Xavier Niel et son fonds Kima Ventures, il n’y a pas assez de source d’investissement de type « early stage » en France, et c’est un problème. Les autres fonds existants réalisent essentiellement ce que j’appelle du « ceinture-bretelles », de l’investissement sans véritable risque, et il manque une « agressivité fiscale » en France enourageant l’argent à se déverser dans la création de nouvelles entreprises plutôt vers le Livret A ou d’autres bas de laine. Et les mesures citées par la Ministre à la question posée manquent de punch pour créer un effet de surprise et réveiller une prise de conscience que des choses peuvent se passer en France dans le numérique, et que nous ne sommes pas les derniers de la classe en ce qui concerne  le contenu, vous savez, la French Touch. Vous en connaissez, vous, beaucoup, des pays, à part la Chine, qui ont su sortir le numéro 3 des plateformes de contenus vidéos dans le monde ?! La France n’est pas aussi mauvaise qu’elle veut bien se l’entendre dire, et avec un peu plus de prise de risque structurée, il y aura plus de chance de sortir d’autres acteurs numériques qui sauront percer comme DailyMotion et se faire une petite place au solein du web… si on ne vient pas trop les déranger avec un discours de « la France au Français », comme c’est trop souvent le cas avec le Ministre de la Productivité.

Un « digital house » pour les entreprises françaises à San Francisco

Nouvelle vite évoquée par la Ministre, un véritable picotement dans mes yeux à entendre cette nouvelle, tant j’en ai rêvé de la faire et voir naître , mais qui s’est révélé impossible à mettre en place avec les acteurs français présents à San Francisco. Assurément une bonne nouvelle pour bon nombre d’entreprises qui tapent à la porte de la Silicon Valley sans trouver la formule de support dont elles sont besoin : hébergement, coaching personalisé, introductions ciblées. Chaque startup me rendant visite chaque semaine me donne cette impression d’avoir besoin d’un service personalisé qui doit pouvoir être structuré, et surtout multi-disciplines. J’imagine que c’est le même constat pour tous ces entrepreneurs français du coin qui modulent bien volontiers leurs agendas chargés pour offrir un peu de feedback. Le Consulat, qui a un rôle essentiel dans le relais de la France auprès des acteurs de la technologie ici depuis San Francisco, doit pouvoir remplir ce rôle. Mais il n’y a pas d’autres informations disponibles autre qu’il devrait ouvrir dans 2 mois, donc a priori à la rentrée.

What’s next?

Il manque un coup de fouet dans de nombreux aspects couvrant le digital en France et cela ne va pas se faire vite, ni tout seul. Je ne crois pas au cliché de la France qui n’aime pas ses entrepreneurs. Il y a trop de PME en France, et il faut être aveugle pour ne pas voir que le reflexe de la création de sa « boite » n’est pas une exception. Maintenant, une chose est sure, il y en a que l’on entend un peu plus que les autres ! Reconnaissons qu’il manque clairement des zones d’intervention au niveau du capital risque, et un peu trop de mentalités de banquiers dans cette industrie. Pour cela il va falloir encourager plus encore l’incitation fiscale dans notre pays, faire sortir d’autres Kima Ventures, structurer à sa base le capital risque avec des acteurs prêts à jouer le jeu. Ca marche bien ailleurs.

Le temps joue pour le digital français. Le nombre de Français présents dans la Baie de San Francisco et travaillant à des postes clés dans bon nombre de sociétés technologiques sont « les meilleurs porte-drapeaux de la Nation », car, même présents depuis 10 ou 20 ans, voire plus, ils ont tous les yeux tournés vers la mère patrie, et répondront présents si on les sollicite. Un regret de ce voyage pourraitêtre de ne pas avoir rencontré suffisamment de personnes ayant accompli un long parcours ici dans la Silicon Valley, qui auraient un autre regard que ceux arrivés il y a 5 ans ou moins. Et ils seront autrement plus… directs ! Solliciter un réseau d’entrepreneurs à travers le monde selon leurs compétences : il y a un système de mentoring à mettre en place, parce que l’un des plus belles vues sur une situation… est justement de ne pas s’y trouver en plein milieu !

Les interventions au quotidien de certaines représentations gouvernementales, ou même régionales (et oui) présentes dans la Baie de San Francisco  qui s’essayent à vouloir recruter des sociétés américaines candidates potentiellement au grand saut dans le business en France passent inaperçues. Une vraie solution serait de créer en France un « centre de compétences de contenus » pour rendre la capitale notamment en mettant en valeur cette French Touch qui n’est pas que l’effet d’un duo de groupe électro, mais un véritable phénomène qui a rendu la France célèbre dans le jeu vidéo : Ubisoft, un des leaders de l’industrie du jeu vidéo, ça vous parle ? Et le design ? La France est historiquement un pays d’artistes, non ?! Il y a tant d’américains qui rêvent (tous) de venir à Paris, donnons leur donc une bonne raison d’y venir.

De grâce, arrêtez avec cet entêtement de certains à vouloir apprendre à nos jeunes la programmation à l’école, et cherchez plutôt des moyens de valoriser les filières technologiques : on fait la part belle beaucoup trop en France aux écoles de commerce, qui ne sont pas le bassin des âmes les plus créatrices, je suis désolé de le dire. Une fonction clé aujourd’hui dans une entreprise n’est plus le service marketing, et ce depuis belle lurette, mais bel et bien la R&D ou le Product Management. Il va falloir inverser la tendance.

Je pense aussi  qu’il serait aussi prioritaire de se pencher sur le berceau des relations entre ces nouveaux petits acteurs des startups et les grandes industries qui souffrent tant à vouloir innover et qui font qu’aujourd’hui la France passe pour un pays du siècle passé. Et des sociétés comme Parrot ne sont pas assez nombreuses, ou visibles. Petit à petit, toutes les industries mondiales s’installent des « Labs », des antennes dans la Silicon Valley, parce qu’il y a des structures qui favorisent l’interaction entre ces deux mondes. Et certaines créent leurs propres fonds, pour aller « acheter » des petites graines innovantes qui grandiront rapidement dans leurs grosses structures. C’est réplicable en France, et ça se fait parfois, mais il manque des incubateurs dignes de ce nom à ce jour, malgré les nombreuses initiatives à Paris ou en Province. Mas ça arrive ! Rapprocher la communauté des startups au monde de l’industrie Française, un bien beau programme.

Quant aux dispositions sur le numérique, une des raisons de la visite de la Ministre à San Francisco, qui avait un objectif pédagogique vis à vis des acteurs de la Silicon Valley, il faudrait certainement s’en occuper un peu plus dans l’éxecution, et un peu moins imaginer de nouvelles taxes Google, de nouvelles taxes « smartphones ». Inciter la créativité et non la répression, sachant que le problème de la fiscalité des grands géants d’Internet ne trouvera jamais sa solution dans un traitement local. Pour le coup, une bonne raison pour la Communauté Européenne de se rendre utile et d’être, elle aussi, créative. Dans son genre.

 

2 commentaires sur “Mes réflexions autour de la visite de Fleur Pellerin à San Francisco

  1. Excellent article Phil, et effectivement ravi de voir que la ministre a bien rempli son role 🙂
    En revanche, au niveau des structures de soutien ciblees avec intro personnalisées et travail en amont, il ne faut pas oublier NETVA.. Je sais que le programme souffre parfois de manque de visibilite, mais 10 startups accompagnées par an sur boston et san francisco, toutes dans le hight tech, et dans des industries aussi variées que le medical device, l’IT, le web, energy saving ou security, c’est quand meme tres precieux pour les entreprises, et c’est le gouvernement qui le cree et le finance 🙂 avec des resultats assez probants . Le consulat sera sans soucis capable de donner plus d’infos, car ils sont les gestionnaires du programme. La france est donc active, meme si pas toujours à la une des journaux …

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s