Laurent Denoue, développeur, de Palo Alto à Verone

On continue de nous raconter des histoires sur la beauté du « made in France » en inventant de nouveaux labels pour démontrer à quel point la technologie française est innovante, le tout dernier étant ce concept de « french tech » jouant, de mon point de vue, sur un mauvais jeu de mot (et un concept quelque peu désuet au regard du grand melting pot que sont devenues les nouvelles technologies). Pendant ce temps (et ce depuis très lontemps, mais la tendance s’accélère) des Français comme Laurent Gil poursuivent leur carrière au gré de leur propre vie personnelle (et oui, ça arrive, et pas seulement à deux blocs de l’endroit où vous êtes né). Et c’est l’histoire de Laurent Denoue que je voulais vous raconter aujourd’hui, développeur depuis toujours ou presque!

Son expérience, tout comme celle de Laurent, en dit long sur ces Français de l’étranger dont les talents sont reconnus, demandés, qui savent comment passer le cap d’un système ne favorisant pas l’exportation, un des meilleurs moyens de se confronter à un monde des technologies qui bougent, qui se mélangent. L’absence du nombre significatif de réussites des sociétés françaises dans ce secteur en est le plus parfait exemple: derrière des Criteo, combien de Viadeo ou de Deezer qui n’arrive pas a passer la case « Etats-Unis », sans parler de ceux qui n’y font que passer?
Laurent a choisi une voie de la flexibilité et une certaine forme d’indépendance… encore mieux!

Pourquoi être parti à Palo alto après ta thèse, et en quoi a consisté tes 10 années ?

J’avais le choix entre un « post-doc » en France mais j’ai contacté plusieurs groupes de recherche aux USA (MIT à Boston, University of Maryland et Xerox en Californie). Les 3 m’ont offert un poste mais seul Xerox était pour un contrat indéterminé alors que les autres étaient encore universitaires de type « post-doc ». J’ai choisi la Silicon Valley bien sur!
Pendant ces 10 ans, j’ai surtout travaillé pour Xerox, mais j’ai aussi rencontré des entrepreneurs francais, et j’ai rajouté des missions en parralèle en mode « contractor ». C’est super de pouvoir faire ca en Californie: c’est légal, alors qu’en France je ne sais pas si ton employeur te le permettrait.

Avec ce mode de fonctionnement, j’ai pu développer en 2006 un site internet qui a intéressé Google, et je les ai donc rejoints pour implémenter ce que j’avais réalisé. C’est devenu Google Viewer (quand tu ouvres un PDF depuis Gmail et que tu peux le voir sans avoir à le télécharger, même chose sur Google Search). Bref, c’était très intéressant de travailler chez eux pendant 6 mois, et de voir aboutir ce projet utilisé maintenant par de nombreux internautes 🙂

(NDLR : des millions à coup sûr).

Depuis 2009 je me suis intéressé au développement iPhone, et avec ma seconde fille Claudia (j’ai 3 enfants, Pablo 16, Claudia 14, et Elena 12) nous avons développé un prototype de jeu en Javascript pour apprendre les opérations de mathématiques. Elle a appris de ce fait un peu de programmation. Et j’ai ensuite parié avec un autre francais vivant aussi à Palo Alto qui serait le premier à publier sa première app iPhone (ah ces francais !). J »ai donc appris objectiveC et pris un Mac et 3 semaines plus tard mon premier jeu était en vente, qui s’appelle PopMaths.

Apple l’a bien aimé et l’a promu pendant 3 semaines sur iTunes, ce qui l’a propulsé dans les 25 premiers pendant quelques mois. C’est de la chance tout ca, sauf que j’allais aussi au café avec le mari d’une personne qui était chez Apple et il lui en a parlé. L’histoire ne saura jamais si la décision d’Apple a quelque chose à y voir…

A part ces activités, la plupart de mon temps a donc été occupé par le laboratoire de recherche de Xerox pour développer des prototypes et de nouveaux services. Très intéressant, avec toujours un pied dans le domaine des publications, donc quelques voyages 2 ou 3 fois par an tous payés bien sur pour aller présenter nos travaux.

Mais entre nous, le mieux de la Silicon Valley c’est:
1 – la nature: je suis un amateur fou de VTT, course et nage, et beaucoup de gens en font aussi, tu n’as pas l’air spécial,
2 – l’entourage de personnes avec qui tu peux échanger tes idées; la proximité de Stanford, et y voir des professeurs « mythiques » qui ont encadré la thèse des fondateurs de Google, ou voir la première adresse de Facebook sur University Avenue à Palo Alto et commenter cette startup le matin au café avec les amis !

Avec le recul, je peux quand meme dire qu’élever une famille dans la Silicon Valley n’est pas toujours simple et tu dois aussi apprendre à t’entourer de personnes qui ne sont pas dans la high tech, sinon tu as toujours l’impression de « rater le coche », avec tous ces jeunes de 25 and et plus qui commencent une nouvelle startup tous les 4 matins. Mais quand tu as 30 ans, tu as du mal à voir avec ce recul, et la vie de famille peut en souffrir.

Reste que l’expérience est super, et mes enfants ont hâte de retourner en Californie pour y faire leur expérience aussi, même s’ils aiment beaucoup la France aussi qu’ils ne connaissaient pas vraiment il y a 4 ans. Aujourd’hui je suis basé en Italie.

Comment se passe l’univers de la tech en Italie, et à Verone, en terme d’écosystème ?

Je n’en ai aucune idée (sic). J’ai bien donné des cours de développement iPhone et Android car ils ont un bon programme de Master en Game Development ici à l’Université, et j’ai participé à une conférence l’an dernier à Florence, mais à part ca je n’ai aucun contact avec les gens ici, sauf pour parler vin et VTT !
Comment fais tu ta « formation continue » ?

Je suis en contact très régulier par Google Hangout avec la Californie, mais franchement la vraie formation continue se fai en développant de nouvelles applications iPad et iPhone et en apprenant ce que tu as besoin d’apprendre en utilisant Google et Twitter. Je trouve Twitter très utile pour suivre ce dont les autres développeurs parlent, les « librairies » qu’ils utilisent, ou les conférences qu’ils fréquentent.
Je ne me sens pas isolé, et j’ai l’impression que beaucoup de personnes travaillent 100% depuis la maison maintenant. Avec la fibre optique pour 40 euros par mois, j’ai une connection internet aussi rapide qu’au boulot !
Quelles sont tes principales realisations ?

– les brevets et articles durant mes années dans ce labo, y compris des services encore « live » comme Talkminer qui indèxent les « online lectures » et qui est maintenant commercialisé au Japon,

– mon implémentation chez Google de Google Viewer, donc,

– mes applications iPhone: PopMaths , « RePaper Web Highlighter » et SnapLite Document Scanner and Highlighter.

Comment se situe la France dans tout ca ?

Je regarde les infos sur France24 ici depuis Vérone de temps en temps, et j’y vais 3 fois par an pour voir mes enfants. Mais je n’ai pas de liaison de boulot direct, à part peut-être mon ex-maître de thèse avec qui nous échangeons parfois quelques nouvelles ou quelques liens.
Je ne vois pas de grande différence entre la France et l’Italie.
Bien sur je suis plus confortable avec la langue francaise qu’italienne, mais dans notre milieu des technologies, tu utilises l’anglais de toute facon, alors tu peux vraiment habiter n’importe où !